Joseph Andras un extrémiste de gauche
 
 
 

Il vit au Havre et publie en mai 2016 son premier roman, De nos frères blessés consacré au terroriste poseur de bombes du FLN Fernand Iveton ouvrier pied-noir qui travaille dans une usine de Gaz située en plein centre d’Alger dans un habitat dense entouré d’immeubles HLM d’un collège technique et du stade d’Alger.

Dans ce livre dont il admet lui-même qu'il s'agit du détournement d'un roman en un outil de propagande, il se montre un manipulateur redoutable et sans vergogne. Faisant preuve d'une totale désinvolture à l'égard du terroriste PCA-CDL-FLN-ALN et d'une parfaite insensibilité envers les victimes des terroristes FLN, il ne s'intéresse qu'au seul criminel.

Oubliant délibérément les victimes il prétend faire du terroriste PCA-CDL-FLN-ALN la seule vraie victime, qu'il s'agit de sauver à tout prix.

Et le procédé est d'autant plus malhonnête que tout est fait par l'auteur pour rendre attachant le condamné à mort en faveur duquel il veut susciter une empathie que ne ternit aucune répulsion, tant son crime et les victimes sont abstraits, irréels.
Seul le terroriste est réel : il vole aux victimes , qui sont complètement rejetés hors du livre, leurs statuts de victimes.

L’intellectuel d’extrême gauche ne se sent pas « au fond » du côté « des honnêtes gens, des victimes ». Les victimes du terroriste sont les grands oubliés de sa compassion, comme s'ils étaient de trop dans le procès. Il aurait voulu dans son procès que le crime et la victime fussent aussi abstraits qu'il était possible, afin que l'émotion et la compassion n'aillent pas vers la victime la population du quartier populaire du quartier du Ruisseau les musulmans et les Français d’Algérie, qu'elles puissent être entièrement mobilisées en faveur de l'assassin.
Le mal ne provient pas du terroriste criminel, il lui est imposé de l'extérieur par des forces sociales qui l'ont obligé à commettre le crime qui lui est reproché. Pour l'intellectuel d’extrême gauche , le traitre est en réalité innocent du mal qu'il a fait, puisqu'il n'est que la victime de la société.
Fernand pose les bombes dans l’usine à Gaz il est membre du PCA (Parti Communiste Algérien) un indépendantiste acharné guillotiné le 11 février 1957: pour ce titre à la gloire d’un terroriste il reçoit à cette occasion le Prix Goncourt du premier roman, qu'il refuse.

 

 

Joseph Andras

Initialement non retenu dans la liste du prix Goncourt du premier roman qui est un prix littéraire décerné chaque année depuis 2009 en marge du prix Goncourt par l'Académie Goncourt. Il prend la suite des « bourses Goncourt », fondées en 1990. Il est attribué en partenariat avec la municipalité de Paris au début du printemps.

Joseph Andras en est finalement le lauréat, le 9 mai 2016, par cinq voix contre quatre à Catherine Poulain pour Le Grand Marin et une voix à Loulou Robert pour Bianca, soit – fait exceptionnel – deux jours avant sa sortie en librairie. C'est le deuxième Goncourt du premier roman consécutif pour les éditions Actes Sud, qui plus est autour de la thématique de la guerre d'Algérie, après Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud récompensé l'année précédente.


La semaine précédant l'annonce officielle des résultats, il fait savoir, par son éditeur et à la demande privée de l'Académie Goncourt, qu'il refuse de se rendre à Paris, afin de signifier son refus de participer à la sélection. Malgré cela, l'Académie lui décerne le prix – Joseph Andras envoie un bref message à l'Académie Goncourt pour décliner le prix et sa dotation, justifiant sa décision en déclarant que « la compétition, la concurrence et la rivalité sont à [s]es yeux des notions étrangères à l’écriture et à la création ». Cette démarche, relativement inhabituelle. Depuis 1951 avec Julien Gracq ayant refusé le prix Goncourt pour Le Rivage des Syrtes, aucun auteur n'a décliné un prix de l'Académie Goncourt, à l'exception du cas Émile Ajar/Romain Gary pour La Vie devant soi (1975) qui révéla la double identité et la mystification d'un même écrivain quelques années plus tard, conduit certains médias à penser qu'il s'agirait d'un romancier déjà célèbre, sur le modèle Gary/Ajar16,17,18,19.


À la suite de ces interrogations, Joseph Andras accorde des entretiens à L'Humanité et au supplément littéraire du quotidien de Beyrouth L'Orient-Le Jour dans lesquels il explique ses motivations et son travail de romancier pour saluer la mémoire de Fernand Iveton ainsi que, à nouveau, les raisons de son refus du prix : « Je ne pouvais l’accepter, par simple souci de cohérence, et laisser s’"institutionnaliser" ce récit et les idéaux portés par les personnages. [...]
Je ne connais pas le milieu littéraire et parisien, ne souhaite pas en savoir plus et tiens plus que tout à me concentrer sur mes prochains textes »

 

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Mardi, 24 Mai, 2016


Le 9 mai dernier, l’auteur recevait le Goncourt du premier roman. Réfutant les prix et l’idée de concurrence, il a décliné les honneurs germanopratins. Toutefois, l’écrivain nous a confié ses motivations, ses idéaux et son travail pour saluer la mémoire de Fernand Iveton (1).


De nos frères blessés est votre premier roman. Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à Fernand Iveton ?

Joseph Andras Par intérêt pour l’histoire franco-algérienne. Je me suis rendu à plusieurs reprises en Algérie – pour des raisons familiales –, mais c’est en France que j’ai découvert, presque par hasard, au détour de pages Internet, l’histoire de Fernand Iveton. J’ai voulu en savoir davantage puis, très vite, écrire sur lui.

Les faits sont réels. Comment faire place à la littérature et éviter l’écueil de la simple biographie ?

Joseph Andras J’aurais pu faire œuvre de biographie mais le travail avait déjà, et très bien, été effectué. L’approche littéraire m’a paru évidente au regard des protagonistes, des lieux, de l’imbrication des différents récits. Rendre justice à Iveton, d’autres l’ont fait avant moi ; j’espérais plutôt lui redonner vie, corps, couleurs ou voix – et la forme romanesque a ce privilège. L’écueil dont vous parlez existe en effet : il fallait, tout en restant au plus près des faits historiques et des témoignages existants, ne pas laisser la documentation prendre le pas et écraser les pages de tout son poids. La narration en deux temps m’a rapidement permis de contourner ce problème, en offrant de grands espaces à tout ce qui n’était pas directement « l’affaire Iveton ». C’est un livre politique mais je ne voulais pas utiliser les personnages comme un prétexte pour parler de politique ; ils devaient exister pour eux-mêmes.


Vous citez Einaudi et Stora, comment avez-vous procédé pour la part historique, le travail documentaire ?


Joseph Andras J’avais déjà beaucoup lu sur cette période de l’histoire : j’étais en terrain familier avant de découvrir Iveton. J’ai pu me faufiler assez aisément dans cette époque, sans avoir à souffrir de trop de lectures académiques avant de pouvoir poser le premier mot. Il m’a toutefois fallu m’enrichir de certains textes, très précis – pour des détails, des dialogues, des personnages.


Votre écriture est percutante, vous effectuez de nombreux flash-back, le récit n’est pas linéaire. Est-ce par style ou une manière de relater la densité de la vie d’Iveton ?


Joseph Andras Les flash-back ne sont pas un « style », seulement un outil, un dispositif narratif. J’avais entamé une autre version, au tout début de l’écriture de De nos frères blessés, qui ouvrait le manuscrit sur la mise à mort. Version que je n’ai pas retenue, donc, mais le refus d’un déroulé linéaire et chronologique s’est imposé immédiatement. Je ne voulais pas enfermer le texte dans les salles de torture et les cellules de prison. Il me semblait dommage de réduire Iveton à un corps fracassé, jugé, broyé par l’appareil répressif d’État : raconter ce qu’il était avant la lutte et ses conséquences tenait de la nécessité. Aussi, la figure d’Hélène m’a rapidement semblé capitale : je ne la concevais pas comme « la femme de » ni comme un personnage de second plan ; j’avais à cœur, grâce à ce dispositif, de la faire exister pleinement et de chiffonner le mythe du « héros » seulement mû par le combat, du « martyr » pris dans son marbre. Au fond, le livre parle d’un couple.


Les scènes de torture sont particulièrement âpres. Elles portent à réfléchir et donnent à lire la Question d’Henri Alleg sous une lumière crue. Vous êtes-vous censuré dans l’horreur ?

Joseph Andras Il fallait les montrer sans fard ni précautions, braquer, le temps de quelques pages, la lumière sur ce qu’implique, en termes presque médicaux, ce mot devenu lieu commun dès que l’on parle de l’Algérie. Je ne l’ai pas relu, à dessein, mais je me souvenais, comme d’une réussite, de l’aspect très brut et froid de certains passages de la Question.


À la surprise générale, vous avez remporté le Goncourt du premier roman. Le jury a salué un grand roman et non seulement un grand premier roman. Êtes-vous surpris ou aviez-vous conscience de la « bombe » que vous alliez provoquer ?

Joseph Andras Pour tout vous dire, j’écrivais De nos frères blessés tandis que je recevais les lettres de refus suite à l’envoi de mon premier manuscrit, un roman qui se déroulait entre la Roumanie et l’Union soviétique. Actes Sud m’avait répondu négativement mais ils tenaient à lire mes prochains textes. Je leur ai envoyé le manuscrit sur Fernand Iveton : ils l’ont accepté quelques jours plus tard. J’étais donc loin, bien loin, de m’imaginer que ce texte pourrait faire l’effet d’une « bombe ». Je pensais surtout, imprégné de ces refus, que le caractère très confidentiel de cette seconde histoire n’allait, une fois de plus, pas captiver grand monde.


En dépit des honneurs et des retombées d’un tel prix, vous avez préféré le refuser. Quelles furent vos motivations pour le décliner ?

Joseph Andras J’étais mal à l’aise à l’idée d’être pris, sans avoir rien fait pour cela, dans une « course », une mise en compétition, en concurrence tandis que tout me pousse, au regard de mes conceptions politiques, à refuser ces notions. D’autant que j’ai tendance, en tant que lecteur, à fuir les ouvrages flanqués d’un bandeau rouge. Le livre n’était pas même sorti que je voyais ceci comme un frein à l’indépendance d’écriture que je tiens par-dessus tout à préserver. J’ai demandé à mon éditrice, contre son gré, de leur faire savoir que je les remerciais, en tant que lecteur, pour l’intérêt qu’ils avaient trouvé à ce texte mais que je ne pouvais l’accepter, par simple souci de cohérence, et laisser s’« institutionnaliser » ce récit et les idéaux portés par les personnages. Je me doute que ma réponse sera, ici ou là, mal comprise, déformée, jugée pour ce qu’elle n’est pas : tant pis… J’ai pesé chaque mot, le plus honnêtement possible et sans le moindre goût pour le « scandale ». Il me tarde seulement que nous cessions de parler de tout ceci.


Un « mystère » plane autour de vous. Vous vous tenez éloigné des médias et refusez d’apparaître en public. Pourquoi une telle discrétion ? Les mauvaises langues pourraient vous reprocher un plan marketing bien huilé…


Joseph Andras Il n’y a pas le moindre « mystère », seulement des divagations de journalistes mal inspirés. Un boulanger fait des baguettes de pain, un plombier débouche des canalisations, un écrivain écrit : c’est aussi simple que ça. Tout est dans le livre, je ne vois pas vraiment ce que j’aurais à ajouter de plus. C’est un texte que je propose, c’est donc de littérature qu’il faut parler – et de la guerre d’Algérie dans le cas présent. Tout le reste n’est, à mes yeux, que bruit et agitation. Je comprends à vrai dire assez mal votre question : un écrivain n’est pas une personne de médias, ce sont deux mondes totalement différents. Je vis en Normandie, au calme, je ne connais pas le milieu littéraire et parisien, ne souhaite pas en savoir plus et tiens plus que tout à me concentrer sur mes prochains textes. Il n’y a vraiment rien de mystérieux : ce devrait être on ne peut plus normal – et en rien original. C’est en tout cas ainsi que j’ai toujours aimé les livres et ceux qui les font : sans trop de projecteurs. Voir ceci comme du « marketing » en dit surtout long sur ces gens et notre époque d’image, de spectacle et de médias.


Pourquoi avoir accepté de nous parler ?

Joseph Andras Je lis régulièrement l’Humanité et me suis rendu à plusieurs reprises à la Fête que vous organisez.

Fernand Iveton vous lisait également et votre journal revient à plusieurs reprises dans le roman.

Je n’ai donc pas hésité une seconde, et vous réponds avec plaisir.

(1) Lire notre critique parue dans notre édition du 12 mai 2016.


Entretien réalisé par Lionel Decottignies

     
 
 
     
 

 

 

Fernand Iveton

terroriste

poseur de bombe FLN

orient le jour

Pour son entrée sur la scène littéraire, l'écrivain Joseph Andras frappe doublement fort Son premier roman, De nos frères blessés, paru le mois dernier, met en scène Fernand Iveton, un Français rallié à la cause du FLN durant la guerre d'Algérie* Auteur d'un attentat, il sera le seul Européen à être condamné à mort durant cette période que les autorités hexagonales ont toujours du mal à regarder en face* Récompensé du prix Goncourt du premier roman, le romancier a refusé cette distinction. Il a bien voulu s'en expliquer à L’Orient littéraire dans un des très rares entretiens qu'il a accordés à la presse*
La compétition, la concurrence et la rivalité sont à mes yeux des notions étrangères à l'écriture et à la création», avez-vous dit pour justifier votre décision de renoncer au prix Goncourt du premier roman. Fernand Iveton est lui aussi un homme qui refuse, qui dit non. Dire non, écrivait Camus dans un livre éponyme, définit l'homme révolté.
Peut-on tenter, par ce biais, de tisser un lien entre le personnage de votre roman et vous-même ?

Ce refus tenait simplement de l'évidence: j'ai aussitôt fait savoir à l'Académie Goncourt que je ne serai pas présent à la cérémonie. Puis j'ai écrit à Actes Sud pour qu'ils relaient quelques lignes afin d'expliciter mes motivations.

Je savais que l'on ne manquerait pas de m'accuser de faire «un coup», mais la crainte de voir ce livre «récupéré » s'avérait autrement plus forte que la bêtise de ces accusateurs. J'aime les bouquins sans galons et me plais à rêver de la fin des prix et des rentrées littéraires: les mots n'ont sincèrement pas besoin de tout ce bruit.
Le lien avec Iveton n'était pas à ce point tissé (je l'aurais refusé pour un tout autre sujet), mais j'entends le rapprochement que vous effectuez: c'est un livre de contestation politique; il paraît plutôt logique que son auteur soit en phase avec ce qu'il raconte, c'est-à-dire un personnage qui ne consent pas au cours des choses. Cela étant dit, je me garderais bien de pousser plus loin ledit lien:

Iveton était un résistant; je n'ai fait qu'aligner des phrases puis, surpris par leur réception, m'en tenir à mon instinct.

 

Joseph Andras: un premier roman qui dit non

Dit bien le titre et des idéaux - intemporels - qui les portaient. La justice est ce que l'on sait depuis la célèbre fable, celle des puissants qui rendent blanc ou noir : un livre peut parfois, loin des tribunaux et en terrains populaires, tracer d'autres verdicts.

Pourquoi le choix de Fernand Iveton pour premier roman ?

J'avais écrit un premier manuscrit (un roman qui se déroulait pour partie en Union soviétique), mais n'avais essuyé que des refus éditoriaux. Iveton est donc mon second sujet mais, de fait, le premier par ordre de parution. Mon élan initial est une géographie et une histoire avant d'être un individu: je m'étais rendu en Algérie, pour motifs familiaux, il y a un certain nombre d'années, et m'intéresse de près à cette époque et aux relations nouées de part et d'autre de la Méditerranée.

Lorsque j'ai découvert le récit de cet homme, j'ai aussitôt voulu en savoir davantage et me suis rapidement mis à écrire. Son destin - tour à tour singulier, superbe et atroce - est celui de l'Algérie et de la France.

Il met à mal les pensées courtes : le terme de « repentance », servi à toutes les mauvaises sauces, rentre le nez dans le sable face à cet ouvrier en lutte, à la fois algérien, «pied-noir», indépendantiste et, comme il le confiait lui-même, homme qui aimait « énormément» la France.

Il y a, avec Iveton, la possibilité de panser des plaies en chahutant les récits officiels.

La littérature est réparation là où la justice se montre indigne. Sans vou­loir le réduire à cela, que tente donc de réparer votre livre ?

Plus encore que réparation (Sartre, Edinger ou encore Einaudi ont déjà agi avec force en ce sens), j'avais à cœur de redonner des couleurs à Iveton.

La littérature peut parfois gifler les morts avec grande estime... Je n'attends rien de la parole gouvernementale, tant d'années après, et ne guette aucune «réhabilitation»; j'espère seulement donner à lire, à découvrir la vie de ces personnages (car Fernand est un militant, c'est-à-dire un camarade, un homme qui œuvre avec d'autres et ne s'entend qu'au pluriel: «nos frères»,

«Un roman va au plus près des faits, donc d’une certaine forme de vérité. »

Fernand Iveton m'apparaît, sous votre plume, comme un idéaliste étranger à toute tentative d'enfermement, de récupération politique.


Est-ce précisément cela qui le condamne, parce qu'il ne peut être précisément secouru par personne ?

Il faut d'abord rappeler qu'il pensait que le pouvoir le gracierait - sa condamnation l'a secoué en première ligne. Quelques débats demeurent, ici ou là, quant au degré d'implication des autorités communistes dans sa défense et son soutien (Einaudi évoque même, un temps, un «abandon»): la solitude d'Iveton relève davantage du contexte et des contingences extérieures (un FLN qui n'endosse pas l'attentat, des alliés communistes qui tergiversent...). L'ingénieur Georges Arbib, lui aussi engagé dans l'indépendance algérienne, fît savoir qu'Iveton tomba car il n'était qu'un simple ouvrier sans «grandes relations» (le tuer, «c'était plus facile, ça passait plus facilement »).

Un moment, les autorités communistes «s'interrogent»; «On se méfie de ce trublion, ne serait-il pas anarchiste, d'abord ? », lit-on sous votre plume.

Fernand Iveton se voit-il seulement ainsi ?

Iveton est un militant communiste au sens le plus classique du terme: la CGT, le Parti, L'Humanité. Il n'appartient pas à la tradition libertaire et c'est un rapprochement extérieur, en effet, lié à la bombe et à l'imaginaire qu'elle charrie.

L'un de ses avocats, Joë Nordmann, le décrivit ainsi, dans ses mémoires: « Sa droiture, sa clarté d'esprit, sa fidélité aux principes de liberté et d'indépendance m'impressionnèrent », il parla d'un geste «soigneusement préparé » et de sa « précaution d'homme responsable». Cette droiture revient dans différents témoignages. Il suffit de lire les lettres qu'il envoya à Hélène, en prison, pour saisir la nature de son engagement et les traits les plus saillants de son tempérament: à l'occasion des vœux de fin d'année, il souhaita « de la liberté, de la justice et du bonheur pour tous les habitants de notre beau pays ».

La liberté de Fernand Iveton peut- elle être comprise métaphoriquement ?

Iveton, homme d'une liberté totale, serait l'être littéraire par excellence puisque la littérature est précisément l'impossibilité de la frontière, de l'enfermement, de la catégorisation ?

C'est une projection, et tout vous y autorise en tant que lecteur. Mais il va de soi qu'il ne pouvait se percevoir ainsi et qu'il connaissait mieux les passements de jambes, sur un terrain de foot, que «l'être littéraire».

La citation suivante interpelle : « Ça pourrait bien être le communisme, oui, sans doute, à condition que cela soit appliqué, l'égalité pour tous, la vraie, sans potes ni bureaucrates, sans propagande ni commissaires politiques, mais ça ne l'est nulle part, pas même en URSS, précise-t-elle. »

Hélène et Fernand sont-ils avant tout unis par cette grande liberté vis-à-vis des appareils, des groupes? A contrario, en quoi diffèrent-ils ?

Hélène, de par son histoire familiale (un père retenu en Pologne contre son gré par les instances soviétiques), se montrait bien plus réservée à l'endroit de l'engagement communiste. Fernand était convaincu de la justesse de cette cause mais ça ne l'empêchait pas d'expliquer à son beau-fils qu'il était libre de ses opinions et que ce ne serait jamais un motif de fâcherie.

Hélène était favorable à l'indépendance sans recourir à quelque prisme idéologique : du bon sens - on ne peut opprimer une population, voilà tout. En me documentant, son caractère et sa détermination m'ont frappé, ému, d'où l'envie de faire d'elle un personnage aussi important que Fernand Iveton, d'écrire un couple plus qu'un héros, forcément solitaire ou seulement « bien accompagné». Il y a la Cause, avec sa majuscule, mais pas seulement: l'amour d'un homme à une femme, et réciproquement, d'un homme à un ami d'enfance et d'un homme à une terre.

Fernand Iveton semble avoir l'audace des timides.
Est-ce ainsi que vous le voyez ?

Il est dit qu'il était, tout en se montrant joyeux, farceur et expansif, d'une grande pudeur parfois comprise comme de la timidité. J'ai esquissé ce personnage à partir de ces informations et de ce que je percevais au travers de ses lettres: un homme aimant, simple, qui se projetait en « vieillard » auprès de celle qu'il aimait et pensait régulièrement à son chat du fond de son trou. Il existe également quelques photographies: les froncements de sourcils, graves, se disputent aux sourires lors d'une soirée dansante.

Ce roman a-t-il nécessité d'importantes recherches historiques ?
Etaient- elles nécessaires ?

Il en a fallu, naturellement, mais j'avais la chance de bien connaître cette époque, comme je vous l'ai dit: l'écriture du roman n'a dès lors pas eu à étouffer sous le poids des lectures académiques et historiques. J'avançais en terrain connu et cela m'a permis d'avoir les coudées sans doute plus franches avec les personnages.

L'histoire des faits dit la vérité, la littérature -plus modeste sans doute-, tente d'approcher celle de la complexité humaine, si tant est qu'il y en ait une ?

Cette nuance se retrouve dans le format même de l'ouvrage: un roman et non un essai ou une biographie. Un roman va au plus près des faits, donc d'une certaine forme de vérité (on sait tous ce qu'il est, malgré tout, possible de faire dire aux faits...), mais ne prétend pas faire œuvre scientifique: je vous parlais de «couleurs» et j'y reviens. D'autres auteurs auraient sans nul doute proposé un tout autre livre. La littérature permet, plus que l'essai (je n'établis aucune hiérarchie, étant très friand de ce second genre), de dire la peau, le tremblé,  je-ne-le-sais-pas, l'odeur, la lumière qui passe ici et le couac dans le concept. La philosophie ou l'histoire peuvent fort bien s'em­parer de la complexité humaine mais c'est presque poétiquement que je vou­lais raconter cette histoire : en donnant des sens à la Raison.

Autre citation importante: «La mort c'est une chose, mais l'humiliation ça rentre en dedans, sous la peau, ça pose ses petites graines de colère et vous bousille des générations entières. »
Ecrire c'est donc aussi accompagner
(Plutôt que défendre ou d'honnir) l'humiliation sans dresser un tribunal justement ?

L'Histoire a l'esprit d'escalier. Sortez en manifestation: François Hollande est grimé en Louis XVI. On ne comprend pas Chàvez sans Bolivar ; on passe à côté du zapatisme en oubliant Hernán Cortés. L'esclavage des Noirs continue de structurer les imaginaires et les inconscients et il reste très compliqué, en France, d'évoquer l'Algérie sans bras d'honneur (songeons au sénateur Longuet) ou boules puantes (rappelons-nous du film Hors la loi) : l'humiliation s'étire, en effet, déploie ses membres de siècle en siècle.

Cela ne signifie pas qu'il faille ne lire le présent qu'à l'aune du passé ou plaquer d'anciennes grilles d'analyses sur l'ins­tant qui vient, mais on ne saurait, si l'on tient à saisir le mouvement de notre temps, faire l'économie des longues durées. Tourner la tête pour le seul plaisir du geste, c'est risquer la crampe et le surplace, mais regarder dans le rétroviseur est encore le moyen le plus sûr d'avancer et d'éviter les accidents.

Pas de tribunal anachronique, dans mes pages, juste le besoin de renouer les fils pour suggérer d'autres

L’indignité politicienne ne prend pas de rides et il suffit ouvrir un journal ou les informations pour le constater »

«Elle mord l'intérieur de ses joues pour ne pas leur offrir le spectacle de leur défaite.


On ne jette pas ainsi la viande aux chiens. » Cette phrase montre la dignité d'Hélène Fernand en a énormément lui aussi et, par antithèse, l'indignité du monde politique: de Guy Mollet au PC en passant par Mitterrand.


Finalement, et même si votre roman n'a peut-être pas été pensé comme politique, il dit quelque chose qui a une résonance actuelle terrible, non ?

Il est évident que la parole et le geste d'Iveton jouent des tours au temps: les dates, les photos usées et les lieux précis ne pèsent plus grand-chose lorsqu'on en vient à l'os, c'est-à-dire à l'idéal d'émancipation socialiste.

La lutte est un motif éternel et assez peu atypique, dans le domaine littéraire. Iveton appartient à cette grande famille des réfractaires et la résonance que vous soulevez me réjouit. La guerre n'est jamais que le cri le plus aigu de la politique: posez les armes, le pouvoir reste. L'indignité politicienne ne prend pas de rides et il suffit d'ouvrir un journal ou les informations pour le constater.

C'est couché, que le corps d'Iveton fut tranché; je vous laisse deviner la position opposée, aux allures d'appel.

Propos recueillis par William IRIGOYEN
DE NOS FRÈRES BLESSÉS de Joseph Andras, Mes Sud, 2016, 144 p.

 

 
affaire yveton  

Le roman rend hommage, en conclusion, à l'ouvrage de référence pour les soutiens du FLN Jean-Luc Einaudi : Pour l’exemple, l’affaire Fernand Iveton 

« Ces pages n'auraient pas pu être écrites sans le patient travail d'enquête de Jean-Luc Einaudi »

Pour l’exemple, l’affaire Fernand Iveton

3 mai 2000

Fernand Iveton. Ce nom vous évoque-t-il quelque chose ?

Savez-vous qu’il fut le seul Européen condamné à mort puis exécuté comme membre du FLN algérien ?

Et qu’on le guillotina, un certain matin de février, alors qu’il n’avait ni tué ni même blessé qui que ce soit.

 

Cela eut lieu en 1957. En des temps terribles que l’on appela ” la bataille d’Alger “. Ce livre vous raconte la tragédie de cet homme. La rencontre d’une vie et d’une époque. Il s’agit d’une enquête. Au fil de plus de trois années, des deux côtés de la Méditerranée, l’auteur a retrouvé les acteurs du drame, recueilli les témoignages, rassemblé les documents.


Évitant les commentaires, il a voulu vous restituer les faits.

Mais les silences aussi étaient au rendez-vous. Il faudra attendre l’an 2057 pour que le dossier Iveton soit accessible au public !


L’affaire Fernand Iveton fait pourtant partie de notre histoire. Mais elle en est un des moments enfouis, dissimulés, oubliés. Dérangeants. A vous, maintenant, de la découvrir.

 
 
     
       

Prix Goncourt 2016 du premier roman, Joseph Andras retrace les derniers jours de Fernand Iveton, heureusement le seul traitre Européen guillotiné pendant la guerre d’Algérie, qui fut militant communiste.
Après une journée de procès sommaire et une demande de grâce rejetée par le président René Coty et François Mitterrand, alors garde des Sceaux. « Iveton demeure comme un nom maudit (…). On se demande comment Mitterrand pouvait assumer ça », écrivent l’historien Benjamin Stora et le journaliste François Malye dans François Mitterrand et la guerre d’Algérie, cité en exergue.

« Je ne suis pas musulman (…) mais je suis algérien d’origine européenne? »


On ne sait presque rien de l’auteur, Joseph Andras, sinon qu’il a 32 ans et vit en Normandie. Premier roman dense au lyrisme tenu, De nos frères blessés est écrit d’un seul souffle, suivant pas à pas les derniers jours d’un condamné qui lit les Misérables dans sa cellule et refuse au pied de l’échafaud le secours de la religion.
Libre-penseur jusqu’au bout. Le rythme heurté, les phrases hachées épousent la rapidité de l’action, laissent deviner le cœur battant de Fernand attendant sous la pluie la Panhard bleue de Jacqueline Guerroudj, celle qui va lui remettre la bombe au tic-tac fiévreux.

 

Birmendreis

 

Les mots précis restituent jusqu’à l’odeur de la chair brûlée par les électrodes des tortionnaires. En quelques scènes qui entrecoupent un récit nerveux, l’auteur retrace avec une profonde humanité l’itinéraire d’un homme mort pour ses idées? : la douce rencontre au bord de la Marne avec sa femme, Hélène, l’enfance en Algérie dans le quartier du Clos-Salembier, l’engagement à 20 ans, après avoir entendu le récit des violences perpétrées par les colons et les miliciens, « des histoires à ne plus dormir. Des gens brûlés vivants avec de l’essence, les récoltes saccagées, les corps balancés dans les puits ».


Fernand Iveton rêvait d’une Algérie qui « finisse, de gré ou de force, par reconnaître chacun de ses enfants, d’où qu’ils viennent, lui ou ses parents et grands-parents ». Pour dire le lien organique qui le liait à cette terre, Joseph Andras ponctue son texte de phrases calligraphiées en arabe, une langue qu’il tente d’apprendre avec ses amis algériens. « Je ne suis pas musulman (…) mais je suis algérien d’origine européenne », écrit Fernand Iveton dans sa cellule, « ma place est aux côtés de ceux qui ont engagé le combat libérateur ».

Une position intenable en temps de guerre.

Alors que France-Soir le qualifie de « tueur » et Paris-Presse de « terroriste », seul l’Humanité exige sa libération.


« Tu es français, tu as mis une bombe, pour eux c’est impardonnable », lui dit l’avocat Joë Nordmann, résistant, celui qui a remis à Aragon pendant l’Occupation des documents du Parti communiste.


« Marianne monnaie sa nuit aux trois couleurs », écrit Joseph Andras. Deux jours après la décapitation, Albert Smadja, l’un des deux avocats commis d’office, sera arrêté et transféré au camp de Lodi afin, comme le précise le livre de la journaliste Nathalie Funès, cité dans les notes finales, de « faire taire ceux qui peuvent dénoncer la répression, entrer en contact avec les militants arrêtés (…) se mettre en travers de l’accusation dans les procès ».


L’histoire de Fernand Iveton, mort la même année que Maurice Audin, se heurte à ce que l’historien Jean-Luc Einaudi a nommé « le silence de l’État ». Symbole de la mauvaise conscience des autorités françaises et d’une Justice indigne, elle est restée dans les mémoires grâce à un texte de Jean-Paul Sartre, publié en 1958 dans les Temps modernes et aux témoignages des survivants.

Ce roman puissant s’achève sur un bref poème qui dit, en quelques lignes, la douleur, la colère et l’espoir suscités par le récit d’une vie brève et fracassée.


« En nos corps fortifiés / Que vive notre idéal / Et vos sangs entremêlés / Pour que demain, ils n’osent plus / Ils n’osent plus nous assassiner. »

On ne sait presque rien de l’auteur, Joseph Andras, sinon qu’il a 32 ans et vit en Normandie. Premier roman dense au lyrisme tenu, De nos frères blessés est écrit d’un seul souffle, suivant pas à pas les derniers jours d’un condamné qui lit les Misérables dans sa cellule et refuse au pied de l’échafaud le secours de la religion. Libre-penseur jusqu’au bout. Le rythme heurté, les phrases hachées épousent la rapidité de l’action, laissent deviner le cœur battant de Fernand attendant sous la pluie la Panhard bleue de Jacqueline Guerroudj, celle qui va lui remettre la bombe au tic-tac fiévreux. Les mots précis restituent jusqu’à l’odeur de la chair brûlée par les électrodes des tortionnaires. En quelques scènes qui entrecoupent un récit nerveux, l’auteur retrace avec une profonde humanité l’itinéraire d’un homme mort pour ses idées? : la douce rencontre au bord de la Marne avec sa femme, Hélène, l’enfance en Algérie dans le quartier du Clos-Salembier, l’engagement à 20 ans, après avoir entendu le récit des violences perpétrées par les colons et les miliciens, « des histoires à ne plus dormir. Des gens brûlés vivants avec de l’essence, les récoltes saccagées, les corps balancés dans les puits ».

 

Fernand Iveton rêvait d’une Algérie qui « finisse, de gré ou de force, par reconnaître chacun de ses enfants, d’où qu’ils viennent, lui ou ses parents et grands-parents ». Pour dire le lien organique qui le liait à cette terre, Joseph Andras ponctue son texte de phrases calligraphiées en arabe, une langue qu’il tente d’apprendre avec ses amis algériens. « Je ne suis pas musulman (…) mais je suis algérien d’origine européenne », écrit Fernand Iveton dans sa cellule, « ma place est aux côtés de ceux qui ont engagé le combat libérateur ». Une position intenable en temps de guerre. Alors que France-Soir le qualifie de « tueur » et Paris-Presse de « terroriste », seul l’Humanité exige sa libération. « Tu es français, tu as mis une bombe, pour eux c’est impardonnable », lui dit l’avocat Joë Nordmann, résistant, celui qui a remis à Aragon pendant l’Occupation des documents du Parti communiste. « Marianne monnaie sa nuit aux trois couleurs », écrit Joseph Andras. Deux jours après la décapitation, Albert Smadja, l’un des deux avocats commis d’office, sera arrêté et transféré au camp de Lodi afin, comme le précise le livre de la journaliste Nathalie Funès, cité dans les notes finales, de « faire taire ceux qui peuvent dénoncer la répression, entrer en contact avec les militants arrêtés (…) se mettre en travers de l’accusation dans les procès ». L’histoire de Fernand Iveton, mort la même année que Maurice Audin, se heurte à ce que l’historien Jean-Luc Einaudi a nommé « le silence de l’État ». Symbole de la mauvaise conscience des autorités françaises et d’une Justice indigne, elle est restée dans les mémoires grâce à un texte de Jean-Paul Sartre, publié en 1958 dans les Temps modernes et aux témoignages des survivants.

 

Ce roman puissant s’achève sur un bref poème qui dit, en quelques lignes, la douleur, la colère et l’espoir suscités par le récit d’une vie brève et fracassée. « En nos corps fortifiés / Que vive notre idéal / Et vos sangs entremêlés / Pour que demain, ils n’osent plus / Ils n’osent plus nous assassiner. »